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Sexualité – Érotique - Plaisir

dans « Amoris Laetitia - L’amour dans la famille» par du Pape François (2016)

 

 

Dieu aime l’épanouissement de ses enfants

 

147. Cela exige un parcours pédagogique, un processus qui inclut des renoncements.
 C’est une conviction de l’Église qui a été souvent combattue, comme si elle était opposée au bonheur de l’homme.
Benoît XVI recueillait ce questionnement avec grande clarté :
« l’Église, avec ses commandements et ses interdits, ne nous rend-elle pas amère la plus belle chose de la vie ? N’élève-t-elle pas des panneaux d’interdiction justement là où la joie prévue pour nous par le Créateur nous offre un bonheur qui nous fait goûter par avance quelque chose du Divin ? ».[142]
Mais il répond que même si les exagérations ou les ascétismes déviés dans le christianisme n’ont pas manqué, l’enseignement officiel de l’Église, fidèle aux Écritures, n’a pas refusé « l’éros comme tel, mais il a déclaré la guerre à sa déformation destructrice,

puisque la fausse divinisation de l’éros […] le prive de sa dignité, le déshumanise ».[143]

148. L’éducation de l’émotivité et de l’instinct est nécessaire, et pour cela, il est parfois indispensable de se fixer des limites.
L’excès, le manque de contrôle, l’obsession pour un seul type de plaisirs finissent par affaiblir et affecter le plaisir lui-même,
[144] et portent préjudice à la vie de famille.
En vérité, on peut réaliser un beau parcours avec les passions,
ce qui signifie les orienter toujours davantage dans un projet de don de soi et d’épanouissement personnel intégral qui enrichisse les relations entre les membres de la famille.
Cela n’implique pas de renoncer à des moments de bonheur intense,[145]
mais de les assumer comme entrelacés avec d’autres moments de don généreux, d’attente patiente, de fatigue inévitable, d’effort pour un idéal. La vie en famille est tout cela et mérite d’être vécue entièrement.

149. Certains courants spirituels insistent sur l’élimination du désir pour se libérer de la douleur. Mais nous croyons que Dieu aime l’épanouissement de l’être humain, qu’il a tout créé « afin que nous en jouissions » (1Tm 6, 17). Laissons jaillir la joie face à sa tendresse quand il nous propose :
« Mon fils, traite-toi bien […]. Ne te refuse pas le bonheur présent » (Si 14, 11.14).

De la même manière, un couple répond à la volonté de Dieu en suivant cette invitation biblique :
« Au jour du bonheur, sois heureux » (Qo 7, 14).
Le problème, c’est d’être assez libre pour accepter que le plaisir trouve d’autres formes d’expression dans les différents moments de la vie, selon les besoins de l’amour mutuel.
Dans ce sens, on peut accueillir la proposition de certains maîtres orientaux qui insistent sur l’élargissement de la conscience, pour ne pas nous trouver piégés dans une expérience très limitée qui nous ferme les perspectives.
 Cet élargissement de la conscience n’est pas la négation ni la destruction du désir mais sa dilatation et son perfectionnement.

La dimension érotique de l’amour

150. Tout cela nous conduit à parler de la vie sexuelle du couple.
Dieu lui-même a créé la sexualité qui est un don merveilleux fait à ses créatures.
Lorsqu’on l’entretient et qu’on évite sa déviance, c’est pour empêcher que ne se produise l’« appauvrissement d’une valeur authentique »
[146].
Saint Jean-Paul II a rejeté l’idée que l’enseignement de l’Église conduit à « une négation de la valeur du sexe humain », ou que simplement il le tolère en raison des « exigences d’une nécessaire procréation ».[147]
Le besoin sexuel des époux n’est pas objet de mépris, « il ne s’agit, en aucune manière, de mettre en question ce besoin ».[148]

151. À ceux qui craignent que dans l’éducation des passions et de la sexualité on ne nuise à la spontanéité de l’amour sexuel, saint Jean-Paul II répondait que l’être humain « est appelé à la pleine et mûre spontanéité des rapports », qui « est le fruit graduel du discernement des impulsions du propre cœur ».[149]
C’est une chose qui se conquiert, puisque tout être humain « avec persévérance et cohérence apprend quelle est la signification du corps ».
[150]
 La sexualité n’est pas un moyen de satisfaction ni de divertissement, puisqu’elle est un langage interpersonnel où l’autre est pris au sérieux, avec sa valeur sacrée et inviolable. Ainsi, « le cœur humain participe, pour ainsi dire, d’une autre spontanéité ».[151]
Dans ce contexte, l’érotisme apparaît comme une manifestation spécifiquement humaine de la sexualité. On peut y trouver « la signification conjugale du corps et l’authentique dignité du don ».
[152]
Dans ses catéchèses sur la théologie du corps humain, saint Jean-Paul II enseigne
que la corporalité sexuée « est non seulement une source de fécondité et de procréation » mais qu’elle comprend « la capacité d’exprimer l’amour : cet amour dans lequel précisément l’homme-personne devient don ».[153]
L’érotisme le plus sain, même s’il est lié à une recherche du plaisir, suppose l’émerveillement, et pour cette raison  il peut humaniser les pulsions.

152. Par conséquent, nous ne pouvons considérer en aucune façon la dimension érotique de l’amour comme un mal permis ou comme un poids à tolérer pour le bien de la famille, mais comme un don de Dieu qui embellit la rencontre des époux.

Étant une passion sublimée par un amour qui admire la dignité de l’autre, elle conduit à être « une pleine et authentique affirmation de l’amour » qui nous montre de quelle merveille est capable le cœur humain, et ainsi pour un moment, « on sent que l’existence humaine a été un succès ».[154]

Violence et manipulation dans le mariage

153. Dans le contexte de cette vision positive de la sexualité, il est opportun d’aborder le thème dans son intégralité et avec un sain réalisme. En effet, nous ne pouvons pas ignorer que, souvent, la sexualité est dépersonnalisée et qu’elle est également affectée par de nombreuses pathologies, de sorte qu’« elle devient toujours davantage occasion et instrument d’affirmation du moi et de satisfaction égoïste des désirs et des instincts ».[155]
A notre époque, on sent le risque que la sexualité aussi soit affectée par l’esprit vénéneux du « utilise et jette ». Le corps de l’autre est fréquemment manipulé comme une chose que l’on garde tant qu’il offre de la satisfaction, et il est déprécié quand il perd son attrait.
Peut-on ignorer ou dissimuler les formes permanentes  de domination, d’hégémonie, d’abus, de perversion et de violence sexuelle, qui sont le résultat d’une déviation du sens de la sexualité et qui enterrent la dignité des autres ainsi que l’appel à l’amour sous une obscure recherche de soi-même ?

154. Il n’est pas superflu de rappeler que même dans le mariage la sexualité peut devenir une source de souffrance et de manipulation.
C’est pourquoi nous devons réaffirmer avec clarté que l’« acte conjugal imposé au conjoint sans égard à ses conditions et à ses légitimes désirs n'est pas un véritable acte d'amour et contredit par conséquent une exigence du bon ordre moral dans les rapports entre époux ».[156]
Les actes propres à l’union sexuelle des conjoints répondent à la nature de la sexualité voulue par Dieu s’ils sont vécus « d’une manière vraiment humaine ».[157]

C’est pourquoi saint Paul exhortait :
« Que personne en cette matière ne supplante ou ne dupe son frère » (1Th 4, 6).
Même s’il écrivait  à une époque où dominait  une culture patriarcale, où la femme était considérée comme un être complètement subordonné à l’homme, il a cependant enseigné
que la sexualité doit être objet de conversation entre les conjoints ; il a considéré la possibilité de reporter momentanément les relations sexuelles, mais « d'un commun accord » (1Co 7, 5).

155. Saint Jean-Paul II a fait une remarque très subtile quand il a dit que l’homme et la femme sont « menacés par l’insatiabilité ».[158] C'est-à-dire qu’ils sont appelés à une union toujours plus intense, mais le risque est de vouloir supprimer les différences et cette distance inévitable qu’il y a entre les deux.
Car chacun a une dignité propre et inaliénable.
 Quand la merveilleuse appartenance réciproque devient une domination, « change essentiellement la structure de la communion dans les relations entre personnes ».
[159]
Dans la logique de domination, le dominateur finit aussi par nier sa propre dignité
[160] et en définitive cesse de « s’identifier subjectivement avec son propre corps »,[161] puisqu’il lui ôte tout sens. Il vit le sexe comme une évasion de lui-même et comme renonciation à la beauté de l’union.

156. Il est important d’être clair sur le rejet de toute forme de soumission sexuelle.
Pour cela il faut éviter toute interprétation inappropriée du texte de la Lettre aux Éphésiens où il est demandé que « les femmes soient soumises à leurs maris » (Ep 5, 22). Saint Paul s’exprime en catégories culturelles propres à cette époque ; toutefois nous autres, nous ne devons pas prendre à notre compte ce revêtement culturel, mais le message révélé qui subsiste dans l’ensemble de la péricope. Reprenons la judicieuse explication de saint Jean-Paul II :
« L’amour exclut toute espèce de soumission, qui ferait de la femme la servante ou l’esclave du mari […].
La communauté ou unité qu’ils doivent constituer en raison de leur mariage se réalise dans une donation réciproque qui est aussi une soumission réciproque ».
[162]
C’est pourquoi on dit aussi que « les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps » (Ep 5, 28). En réalité, le texte biblique invite à dépasser l’individualisme commode pour vivre en se référant aux autres :
 « Soyez soumis les uns aux autres » (Ep 5, 21).
Dans le mariage cette ‘‘soumission’’ réciproque acquiert un sens spécial et se comprend comme une appartenance réciproque librement choisie, avec un ensemble de caractéristiques de fidélité, de respect et d’attention.
La sexualité est au service de cette amitié conjugale de manière inséparable,
parce qu’elle est orientée à faire en sorte que l’autre vive en plénitude.

157. Cependant, le rejet des déviations de la sexualité et de l’érotisme ne devrait jamais nous conduire à les déprécier ni à les négliger.
L’idéal du couple ne peut pas se définir seulement comme une donation généreuse et sacrifiée, où chacun renonce à tout besoin personnel et se préoccupe seulement de faire du bien à l’autre sans aucune satisfaction.
Rappelons qu’un véritable amour sait aussi recevoir de l’autre, qu’il est capable de s’accepter comme vulnérable et ayant des besoins, qu’il ne renonce pas à accueillir avec sincérité et joyeuse gratitude les expressions corporelles de l’amour à travers la caresse, l’étreinte, le baiser et l’union sexuelle.
Benoît XVI a été clair à ce sujet :
« Si l’homme aspire à être seulement esprit et qu’il veuille refuser la chair comme étant un héritage simplement animal, alors l’esprit et le corps perdent leur dignité ».[163]
Pour cette raison, « l’homme ne peut pas non plus vivre exclusivement dans l’amour oblatif, descendant.
Il ne peut pas toujours seulement donner, il doit aussi recevoir.
Celui qui veut donner de l’amour doit lui aussi le recevoir comme un don ».
[164]

Cela suppose, de toute manière, de rappeler que l’équilibre humain est fragile, qu’il y a toujours quelque chose qui résiste à être humanisé et qui peut déraper de nouveau à n’importe quel moment, retrouvant ses tendances les plus primitives et égoïstes.

 

Mise en forme de M.Hanglberger (www.hanglberger-manfred.de )

 

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